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Relations amoureuses, sexualité et syndrome d'Asperger

L'article au format pdf est disponible en cliquant ici.

L’ouvrage d’Isabelle Hénault (Sexualité et Syndrome d'Asperger, 2006) traite de la question de la sexualité et des relations amoureuses chez les personnes avec Syndrome d’Asperger et Autisme de Haut Niveau. Tony Attwood y mentionne le fait que c’est un sujet qui mérite d’être traité, car « malgré la multiplication des recherches et des publications, la question des relations interpersonnelles et de la sexualité des personnes Asperger est demeurée négligée », alors que « les personnes atteintes du syndrome d’Asperger ont les mêmes champs d’intérêt, les mêmes orientations et les mêmes problèmes sexuels que la majorité des gens ». Si les individus Asperger démontrent un intérêt et des besoins similaires aux personnes « neurotypiques » en matière de sexualité, l’expression de leur sexualité est souvent particulière. Alors que la plupart des adolescents aspies manifestent une curiosité certaine pour le sujet, leurs spécificités neuro-atypiques peuvent les éloigner des découvertes amoureuses et sexuelles qu’ils sont supposés faire lors de cette période de bouleversement hormonal. Chaque individu est différent et les cas de figures sont variés, mais certaines similarités permettent cependant de dresser un état des lieux global de la question de l’amour et de la sexualité chez les personnes avec syndrome d’Asperger.

Une période fondamentale : l’adolescence

« Les adolescents Asperger manifestent une curiosité certaine pour la sexualité » (p.17) La puberté est une étape importante du développement sexuel, et qui comprend de nombreux aspects : émotifs, hormonal, social, interpersonnel et physiologique. La période de l’adolescence est très importante car c’est à ce moment-là que l’estime de soi se construit. « Chez les adolescents Asperger, les stéréotypes liés à l’adolescence peuvent être vécus différemment. Par exemple, le désir de joindre un groupe d’amis est moins pressant, et les critères de la mode (vêtements, musique, attitudes, code de langage, etc…) ont un impact beaucoup moins grand » (p.14) « Vers l’âge de l’adolescence, un phénomène de plateau est observé : les adolescents Asperger atteignent rarement la maturité d’un jeune adulte. Ils ne vivent pas les mêmes expériences que les adolescents en général, que ce soit au niveau de l’identité de genre (sentiment d’appartenance à son sexe), ou des interactions avec les autres adolescents, et plus particulièrement avec le sexe opposé » (p.18) Malgré tout, les transformations hormonales qui ont lieu chez les adolescents aspies peuvent les pousser à s’intéresser à leurs pairs et à manifester de la curiosité en matière de sexualité et relations amoureuses. Deux types de réactions peuvent être observés : soit l’adolescent aspie n’est pas influencé par son entourage, ou au contraire, il va tenter d’intégrer les règles et attitudes sociales, mais souvent de façon littérale et inappropriée. En effet, les personnes aspies « éprouvent des difficultés à « lire » et comprendre les intentions et les émotions fines et complexes des autres, ainsi qu’à communiquer efficacement leurs pensées et sentiments intimes » (Tony Attwood). L’adolescent(e) va ainsi imiter le comportement de ses pairs, et ce, même s’il/elle n’est pas toujours en mesure d’en décoder la complexité. Ainsi, il/elle peut reproduire un comportement observé sans tenir compte du contexte. Les moqueries qui résultent du comportement inadapté à la situation peuvent affecter fortement l’estime personnelle du jeune aspie. Période importante en matière de socialisation, l’adolescence, par ces échecs amoureux, peut devenir un cauchemar si la personne aspie n’est pas suffisamment encouragée à exprimer ses difficultés. Il est très important qu’elle puisse être guidée et conseillée sur les sujets souvent négligés que sont les relations amoureuses et la sexualité. Ce qui est intuitif dans le développement des personnes « neurotypiques » ne l’est pas chez l’adolescent aspie. Un décodage sur la question est nécessaire pour l’aider à comprendre les paroles, pensées, émotions, et comportements de ses pairs. Le passé de bon nombre d’aspies est peuplé de souvenirs négatifs dans leurs tentatives de rapprochement affectif et amoureux avec leurs semblables. Beaucoup en gardent un souvenir amer, à défaut d’avoir pu être orientés, cadrés, conseillés.

Communication non verbale, émotions et théorie de l’esprit

« La socialisation et les émotions font partie des thèmes qui engendrent le plus d’interrogations, de confusions, de peurs et de malentendus chez les personnes atteintes du syndrome d’Asperger. Pourtant, elles constituent la pierre angulaire des relations interpersonnelles, ce qui inclut la sexualité » (p.57). Les personnes ayant un syndrome d’Asperger éprouvent des difficultés à décoder les messages non verbaux. L’implicite est ce qui est contenu dans une expression, dans un fait, mais sans être exprimé verbalement. Or, seulement 30% de la communication lors d’échanges sociaux se fait verbalement ; les 70% d’implicite, de non verbal, posent problème aux aspies, car le décodage prend beaucoup de temps. Par exemple, lors du décodage des expressions d’un visage, la personne aspie s’attarde surtout sur des détails et a du mal à voir l’ensemble. Les expressions du visage étant rapidement changeantes, l’individu n’a pas le temps de décoder une émotion, que déjà l’expression est remplacée par une autre. Il peut y avoir ainsi une tendance à observer fixement quelqu’un, ou à l’éviter du regard car la foule de détails informatifs à gérer est trop conséquente. Or, en matière de relations amoureuses, le décodage des émotions et la compréhension de l’état mental et émotionnel de l’autre sont fondamentaux : cela permet de pouvoir se situer par rapport à autrui et au contexte, au niveau amical, affectif, amoureux, sexuel, et agir en conséquence de façon appropriée. « Certains individus vont développer des repères (mots clés, gestes précis, intonations de l’interlocuteur) comme moyen de décodage. Néanmoins, lorsque les repères sont trop rigides, il risque d’y avoir des malentendus. Les relations humaines se déroulent sur plusieurs niveaux parallèles (émotif, non verbal, verbal, cognitif, etc…) et c’est ce qui les rend si complexes » (p.38-39) La théorie de la pensée ou de l’esprit est la capacité à attribuer un état mental à soi-même et aux autres. Les personnes autistes présentent une faible théorie de la pensée, et ont donc du mal à imaginer ce que peut penser ou ressentir l’autre. Cette capacité (ou difficulté) s’exprime à des niveaux variables en fonction des personnes aspies, et peut se travailler et évoluer avec les années. Cela n’est juste pas intuitif chez l’individu autiste, et des études ont montré que les personnes Asperger n’utilisent pas la même région du cerveau que les autres personnes dans les situations sociales (p.69). L’intellectualisation est nécessaire dans le décodage des situations sociales complexes. « Les relations interpersonnelles complexes sont souvent incomprises. Lors de conversations ou d’interactions entre plusieurs personnes, l’individu Asperger a de la difficulté à décoder tous les messages émis en même temps. Les mots et les phrases à double sens créent chez lui de la confusion, ce qui le laisse souvent totalement perplexe. Le langage non verbal, qui agit comme un langage parallèle, est aussi difficile à capter, ce qui fait qu’une conversation peut tourner au cauchemar. La sexualité est remplie de subtilités, de petits gestes et d’intentions qui doivent être décodés à un second niveau. Les personnes Asperger rapportent qu’elles vivent cela comme si elles se trouvaient en présence de quelqu’un qui s’exprimerait dans un dialecte inconnu. C’est comme apprendre une nouvelle langue chaque fois ». (p.38-39)

Le romantisme et l’implicite

De nombreux aspies expliquent qu’ils sont mal à l’aise dans des situations romantiques, riches en complexité implicite, et donc difficilement décodables. Isabelle Hénault donne l’exemple d’une balade près d’un lac, qui « peut être synonyme de romantisme et de plaisir pour le partenaire neurotypique (non Asperger), alors que le partenaire Asperger y voit plutôt une belle occasion d’étudier la qualité de l’eau, la faune et la flore sauvage, et il se fait une joie d’expliquer l’écosystème entourant le plan d’eau ! » (p.28). Si les messages transmis lors d’une conversation ne sont pas suffisamment clairs au niveau verbal, certains ne se rendent d’ailleurs même pas compte que la personne en face est en train de draguer ou de tenter de séduire ! Par exemple, un sourire d’un homme va pouvoir être interprété par une femme aspie comme une preuve du fait qu’il soit heureux, mais s’il y a du désir associé, il est fort probable que celle-ci ne décode pas cette subtilité, ce qui peut amener à des situations de malentendus et d’incompréhensions très dérangeantes !

Les hyper et hyposensibilités des aspies

Les personnes Asperger et AHN peuvent être hypersensibles ou hyposensibles, selon l’acuité de leurs sens (p.28). L’hypersensibilité auditive et tactile est souvent très présente. Cette hypersensorialité peut être vécue comme un grand plaisir ou une souffrance intolérable, et impacte la vie amoureuse et sexuelle. Par exemple, certains aspies ne supportent pas un simple effleurement de la peau, c’est pour eux une sensation très désagréable. « L’effleurement de la peau ou le contact avec certains tissus entraînent une réponse douloureuse. Par contre, la pression cutanée est souvent perçue comme calmante » (Aquilla, 2003). En effet, être serré avec fermeté dans les bras peut être très plaisant pour certains. C’est même parfois très important pour l’équilibre psycho-affectif de l’individu autiste. Temple Grandin, autiste très connue aux Etats-Unis, explique qu’elle a même créé sa propre machine à compression, qui lui permet d’apaiser son anxiété. Les hyposensibilités sont aussi présentes chez certains individus aspies. Dans ce cas, une surexposition aux stimuli est nécessaire afin qu’ils puissent les ressentir suffisamment : « ce comportement peut être interprété comme une compulsion ou une obsession sexuelle alors qu’il s’agit en fait d’un problème purement sensoriel » (p.30). Ces hypo ou hypersensibilités et sensorialités doivent être prises en considération pour une meilleure compréhension des comportements affectifs et sexuels des personnes avec syndrome d’Asperger.

Diversité sexuelle et syndrome d’Asperger

« La population Asperger est, par sa nature même, différente. Cette différence est vécue à plusieurs niveaux, dont celui de la diversité sexuelle » (p 84). Plusieurs individus aspies se considèrent bisexuels ou homosexuels, voire « ambisexuels ». Une adulte Asperger explique son attrait envers une autre personne ainsi : « je suis attirée par la personne avant tout, par ses qualités et sa personnalité. Que ce soit un homme ou une femme, cela n’a pas d’importance pour moi » (p.88). D’autres au contraire sont très fermes dans leur orientation sexuelle. Le point fondamental est que les personnes Asperger, à quelques exceptions près, ont une vie et des désirs sexuels au même titre que le reste de la population : « un des préjugés à l’endroit des personnes Asperger est de les considérer comme des individus asexuels, c’est-à-dire sans désirs, sans besoins et sans conduites sexuelles » (p.88). Isabelle Hénault et Tony Attwood ont mené une étude (2001) en collaboration avec 28 personnes autistes de haut niveau et Asperger. Ils ont notamment pu observer que « le profil sexuel de ces individus diffère en plusieurs points de celui de la population en général, en ce sens qu’ils sont moins influencés par les normes sociales. Certains agissent en accord avec leurs désirs internes, qu’ils soient dirigés vers quelqu’un du même sexe ou non » (p.79). « L’identité de genre des adultes Asperger est profondément ancrée dans leur personnalité, mais avec une différence majeure par rapport à la population en général : cette harmonie n’est pas dictée par les normes de la société » (p.83). L’environnement de la personne aspie, l’attrait du « semblable » et les expériences plaisantes vécues vont contribuer à orienter ses choix sexuels : « les premières expériences sexuelles, les comportements et les désirs sexuels risquent d’être orientés vers les individus qui se trouvent dans l’environnement immédiat. Un autre facteur est lié à l’attrait du semblable. Pour certains individus, il est moins intimidant d’établir une relation intime ou sexuelle avec quelqu’un de « semblable ». Les expériences sexuelles antérieures sont un autre facteur important. La personne Asperger aura tendance à répéter les expériences satisfaisantes qu’elle a vécues, qu’elles soient hétérosexuelles, homosexuelles ou bisexuelles, car la répétition et la routine font partie du répertoire comportemental de ces personnes » (p.89). Si l’étude montre de fortes disparités en terme de satisfaction des individus au niveau de leur vie amoureuse et sexuelle, ce qui est marquant est que la conception différente du monde et des conventions sociales, vécue par les personnes autistes et aspies, les pousse naturellement vers une grande diversité sexuelle. La difficulté réside dans l’incompréhension de l’entourage de ces particularités amoureuse et sexuelle. « Les sujets de la diversité sexuelle et de la genralité sont caractéristiques du syndrome d’Asperger. La présence de symptômes psychologiques associés à l’incompréhension de l’entourage, aux réactions des pairs et de la famille ajoute aux difficultés de certains individus. Une vision pathologique de la genralité ou de l’orientation sexuelle les confine dans l’anomalie, les pousse vers la déviance et empêche tout dialogue avec les professionnels de la santé. Ce domaine mérite qu’on lui accorde davantage d’études afin de permettre une meilleure compréhension des facteurs en cause dans le développement de la genralité, de même que la mise en place d’interventions pertinentes qui apporteront un soutien adapté aux individus ». (p.99).

S’adapter aux contextes

La curiosité naturelle des personnes avec syndrome d’Asperger les amène à devenir des experts sur des thèmes qui les intéressent. Certains aspies, notamment à l’adolescence, passent donc beaucoup de temps à lire, écouter ou visionner des livres, articles, émissions, documentaires traitant des relations amoureuses et de la sexualité. Cependant, ils peuvent avoir tendance à faire maladroitement un « copier-coller » de ce qu’ils ont vu, lu, ou entendu dans des contextes inappropriés. Ils peuvent donc choquer, et se retrouver au centre des moqueries de leurs pairs, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en terme d’estime personnelle. D’autre part, la flexibilité et l’adaptation, le fait d’agir avec une certaine souplesse, permettent d’ajuster les comportements aux situations. « La personne Asperger a de la difficulté à improviser ou à s’adapter aux changements, ce qui provoque la majorité des comportements inadéquats » (p.27). Cette problématique peut être dérangeante tout au long de la vie amoureuse d’un individu aspie. Par exemple, une compagne « neurotypique » peut décider d’inviter son amoureux aspie au restaurant pour lui faire plaisir, mais celui-ci peut refuser froidement sous prétexte qu’il avait prévu de passer sa soirée à rechercher des informations sur son intérêt spécifique du moment. Il est donc important de prendre en compte que les personnes Asperger n’aiment pas les imprévus, même si ces surprises sont censées être agréables et leur faire plaisir ! Les aspies mettent du temps à s’adapter aux changements, et prennent très mal le fait qu’on leur empêche de faire ce qu’ils avaient planifié et « encodé » dans leur cerveau.

Des notions floues : l’intimité, les limites, le respect de soi-même et d’autrui

Le désir d’exploration de la sexualité à l’adolescence peut permettre aux individus autistes une ouverture aux autres. Cela favorise la socialisation mais les relations amoureuses et sexuelles doivent être bien expliquées et cadrées : notions de privé/public, l’intimité, les limites, les comportements à risque, le respect de soi-même et d’autrui, le concept de consentement, etc… Il faut savoir faire la discrimination entre ce qui doit être fait en privé et ce qui peut être fait en public. « Les notions de privé et de public sont souvent mal interprétées et comprises » (p.33). Les aspies peuvent en effet avoir du mal à saisir la notion de vie privée, d’intimité. « Les conduites sexuelles doivent s’adapter aux contextes, ce qui inclut les lieux et les individus avec qui elles sont pratiquées. Les personnes Asperger ont parfois de la difficulté à juger du contexte dans lequel un comportement s’exprime. » (p.27). Où, quand, comment, avec qui ? Les réponses à ces questions ne sont pas évidentes du tout, les relations amoureuses supposant une gestion importante et simultanée d’informations complexes pour des cerveaux au fonctionnement autistique. « Il est important de baliser les comportements affectueux des jeunes Asperger afin qu’ils se développent de façon appropriée à l’âge adulte » (p.34) « Les habiletés sociales des personnes Asperger étant limitées, il en résulte un manque d’expérience et de jugement. Le peu de connaissances sexuelles qu’elles ont influence négativement leur compréhension de la notion de consentement à l’égard des demandes sexuelles qui leur sont adressées » (p.40). Les abus sexuels sont fréquents parmi la population autistes ou aspies. Les femmes notamment, pour obtenir de l’affection, ont une tendance à accepter les propositions sexuelles qui leur sont faites. Certains individus profitent de leur naïveté et de leur crédulité. Les femmes aspies doivent donc apprendre à détecter les abuseurs potentiels.

Comportements inappropriés et détresse psychologique

La frustration est souvent à la base des comportements agressifs ou impulsifs. « Le quotidien de personnes Asperger est chargé de malentendus, ce qui peut entraîner l’apparition de différents comportements inappropriés » (p.27). Il arrive que certaines situations amènent des sentiments de confusion et de frustration, entraînant un comportement inapproprié au niveau sexuel. Le manque de théorie de l’esprit et d’empathie, la difficulté de comprendre ses pairs et de s’adapter aux contextes, de décoder l’implicite, les tentatives ratées de rapprochement et les moqueries qui en découlent, peuvent entraîner des angoisses, de l’anxiété, un repli sur soi, de la dépression, mais également mener l’individu à avoir des conduites sexuelles inappropriées, voire pathologiques. Par manque d’habiletés sociales, « le sentiment de solitude, la dépression, l’anxiété et la colère sont les symptômes les plus souvent associés à leur détresse » (p.58). « Dans certains cas, l’isolement entraîne un désir si intense de rencontrer un partenaire que les gestes seront impulsifs et inappropriés. Plus les occasions de faire des nouvelles rencontres seront nombreuses, moins cette personne sera impulsive et désespérée » (p.51). La sexualité peut devenir intérêt spécifique de la personne aspie. Cela ne pose pas de problème tant que cela ne cause pas de dommages pour elle-même ou autrui, mais l’aspect « envahissant » et obsessionnel peut nécessiter un accompagnement bienveillant de la part d’un entourage compréhensif ou de professionnels de santé spécialisés. Tony Attwood explique que « l’imaginaire occupe une place importante chez les filles affectées du syndrome d’Asperger, surtout sur le plan des relations amicales. Cette particularité typique de l’adolescence peut aussi prendre des proportions importantes ». Il arrive que par peur du ridicule ou du rejet, les aspies évitent les rencontres et les contacts sociaux, et se contentent de vivre dans « leur monde imaginaire ». Il faut veiller à les aider à maintenir un lien avec la réalité et à leur redonner confiance en leurs capacités sociales. Le fait de parler d’une situation permet de la dédramatiser. Lorsque la vie fantasmatique est développée comme mécanisme compensatoire, il peut y avoir des avantages (renforcement de l’estime personnelle et du sentiment de « capabilité » en pensées) mais aussi des inconvénients. L’obsession peut se manifester au niveau sexuel, avec une autostimulation qui peut aussi devenir une activité envahissante. Il est important de l’autoriser, mais en élargissant et diversifiant le répertoire des activités autostimulantes pour la personne. Punir ou négliger la situation augmenteraient l’anxiété et le problème ; il vaut mieux essayer d’en parler pour essayer de trouver des solutions, voir jusqu’à quel point cela occupe son esprit, et faire appel à un spécialiste si nécessaire. De plus, « la personne qui se bâtit un réseau social aura de meilleures chances de rencontrer des gens avec qui elle partage des intérêts communs » (p.18) et donc, de pouvoir avoir des expériences amoureuses. Les obsessions peuvent parfois, bien que plus rarement, évoluer en compulsions sexuelles, et mener à des actes impliquant des victimes (agressions sexuelles). Il faut bien entendu autant que possible intervenir au préalable afin d’éviter de telles situations de pertes de contrôle. Un adolescent « délinquant sexuel » de 16 ans explique : « elle me plaisait, je lui ai fait comprendre… à ma manière » (p.54). Sa manière était juste inappropriée, irrespectueuse, ne tenant pas compte du consentement d’autrui ; d’où l’importance d’aborder les thèmes cités préalablement (public/privé, intimité, respect, limites, consentement mutuel). « Il y a moins de risques qu’un comportement devienne excessif s’il est accepté et bien orienté plutôt qu’interdit (…) les pulsions et désirs sexuels ne pouvant être réprimés, ils doivent être dirigés afin que leur expression soit adéquate et socialement acceptable » (p.5). L’étude menée par Tony Attwood et Isabelle Hénault montre que « l’image corporelle négative, le manque d’expériences sexuelles et la présence de symptômes dépressifs et anxieux contribuent au dysfonctionnement sexuel observé chez certains individus. De plus, le manque d’occasions et un environnement restrictif risquent également d’accroître la fréquence des conduites inappropriées » (p.78).

Vie de couple et syndrome d’Asperger

Par leurs particularités de fonctionnement, beaucoup de personnes avec syndrome d’Asperger disent éprouver des difficultés à vivre une relation de couple satisfaisante et épanouissante. Certaines personnes aspies se préoccupent bien plus de leurs intérêts spécifiques que des relations interpersonnelles ce qui a un effet direct sur leur vie amoureuse. « Un facteur à considérer est l’absence de communication émotive dans la vie affective, intime et sexuelle. Le sujet devient parfois tabou, ce qui entraîne une diminution des comportements affectueux et l’apparition de pensées négatives. La communication émotive va au-delà de l’échange routinier et superficiel. Elle implique le partage des émotions et des pensées intimes. Les échanges ont avantage à être assez nombreux afin que s’installe une complicité entre les partenaires. Le partenaire Asperger peut éprouver des difficultés dans le contexte d’une communication intime » (p.103). La relation de couple peut avoir lieu entre personnes aspies, mais également entre un individu « neurotypique » et son partenaire « neuro-atypique ». Les attentes des partenaires ne sont pas les mêmes, et l’individu neurotypique peut souffrir du manque de moments de partages affectifs. Deux témoignages intéressants sont évoqués (p.104) : « un conjoint Asperger ne se rend pas compte de l’importance des moments intimes entre lui et sa partenaire. Sa conjointe souffre du manque d’échanges et d’affection entre eux. Comme il perçoit cette remarque comme un reproche, il maintient une distance encore plus grande, en se réfugiant dans son activité préférée ». Un autre couple explique « ses insatisfactions quant aux nombreuses mésententes qui règnent. Le conjoint Asperger exprime son attirance et son désir pour sa conjointe uniquement au moyen des échanges sexuels (…) la conjointe déplore le découpage net entre la relation purement « sexuelle » et la relation « affective » absente dans le couple ». Il n’est donc pas rare de rencontrer cette dynamique chez les couples dont l’un des membres est Asperger. Les personnes avec syndrome d’Asperger peuvent ainsi avoir des difficultés en matière de communication affective. Or, cela est l’étape de base vers la compréhension mutuelle. Il est nécessaire en premier lieu que les partenaires s’entendent sur les constituantes de l’intimité du couple.

3 composantes sont nécessaires à l’établissement de l’intimité entre 2 personnes (p.106) : - le partage des pensées, des croyances et des rêves - la sexualité (considérée sous l’angle des échanges et de l’attachement) - la reconnaissance de sa propre valeur et de ses besoins individuels

Un partage et une discussion devrait donc avoir lieu sur ce qui constitue pour chacun une intimité satisfaisante et épanouissante : dans leurs réponses, quels sont les points communs, les différences, les constituantes de l’intimité selon chacun ? Comment mettre en place des adaptations afin que chacun puisse y « trouver son compte » ? Il ne s’agit pas d’un moment de confrontation, mais d’un dialogue, d’un échange constructif visant à consolider la relation et à en améliorer la qualité.

Quelques idées d’exercices pratiques

« L’entraînement aux habiletés sociales a pour objectif de raffiner et d’accroître le répertoire des comportements adaptatifs des individus. Le lien entre les habiletés interpersonnelles et la sexualité est important. (…) il faut acquérir certaines habiletés de base indispensables à l’établissement d’une relation entre deux personnes » (p.59). Des discussions peuvent avoir lieu, en famille, entre amis, dans des groupes de paroles, ou avec des professionnels connaissant bien le syndrome d’Asperger sur les thèmes évoqués précédemment : - à la puberté, il est important de parler d’éducation sexuelle en termes très clairs aux adolescents, en évoquant sans tabou l’autostimulation (masturbation) et les changements physiologiques qui ont lieu, éventuellement en utilisant des images pour illustrer ces changements - les nouvelles odeurs qui apparaissent à l’adolescence peuvent nécessiter l’utilisation de produits doux et naturels en fonction des hypersensorialités olfactives (et possibles hypersensibilités réactionnelles aux produits chimiques) - les risques liés à la sexualité, la santé sexuelle, les partenaires possibles et la notion de contexte - faire comprendre la distinction entre ce qui est public et privé/intime - l’identité sexuelle, l’orientation sexuelle - le lien entre les émotions et la sexualité - faire la liste de ce qui est agréable ou désagréable en fonction des hyper et hyposensorialités et des 5 sens pour chaque personne - s’entraîner à reconnaître ses émotions et celles d’autrui, travailler sur la théorie de l’esprit (que peut bien penser l’autre, et qui est différent de mes propres pensées ?) - apprendre à décoder la communication non verbale - savoir poser des limites et dire non si la relation amoureuse ou sexuelle n’est pas souhaitée, discuter de la notion de consentement et de respect de soi-même et d’autrui - sensibiliser aux formes d’abus et expliquer qu’il y a des lois qui permettent d’être protégé ; discuter des situations souhaitables, malsaines, abusives - l’exercice des 3 cercles : tracer 3 cercles, un au centre et les 2 autres autour : celui du centre, le vert, représente l’intimité : y noter tout ce qui est autorisé, et avec quelle(s) personne(s) ; le 2ème, jaune, représente la sphère familiale et les amis proches ; y noter également ce qui est autorisé et ce qui ne se dit pas ou ne se fait pas ; enfin le dernier cercle, rouge, tout autour, représente les relations et conduites à avoir en société, dans la sphère publique, y inscrire ce qui est interdit dans ce contexte-là. Pour les couples, étendre le script sexuel si celui-ci est trop répétitif et lassant : étant donné les caractéristiques associées au syndrome d’Asperger, il est fort probable qu’une routine s’installe et laisse peu de place à la spontanéité. L’exercice peut être la découverte des sensations corporelles en explorant le corps de l’autre, et communication sur ce qui est vécu et ressenti, en prenant le temps de vivre l’échange, d’intégrer de nouveaux gestes intimes, dans un désir d’évolution et de partage en couple.

Conclusion

Si les personnes ayant un syndrome d’Asperger manifestent pour la plupart autant d’intérêt que les individus « neurotypiques » en matière de relations amoureuses et de sexualité, un accompagnement spécifique devraient leur être proposé dès la puberté, afin de les conseiller là où l’intuition sociale leur fait défaut. Malgré leur désir de « bien faire » face à un partenaire potentiel, une certaine maladresse inhérente à leur fonctionnement neurologique particulier peut les amener à avoir des conduites inappropriées et choquantes, car non adaptées aux contextes, et impactant parfois lourdement sur leur estime personnelle et leur sentiment de « capabilité » (« ability ») en situations sociales. Les relations amoureuses, encore plus que les relations sociales, sont d’une complexité extrême, et très difficiles à décoder pour un cerveau autiste. Il est donc important d’évoquer avec la personne aspie le vaste registre et les diverses composantes du langage subtil des relations amoureuses et sexuelles, afin d’éviter à des aspies non avertis les apprentissages uniquement « sur le terrain », souvent chaotiques.

Tag(s) : #Syndrome d'Asperger, #Lectures
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